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Jun 20, 2018

Charles Aznavour le poète (Version intégrale)


Chaque poète, chaque écrivain a son style, sa signature, mais tous ont quelque chose à dire et les mots pour l'écrire. 
Charles Aznavour a des choses à dire comme le témoignent ses mille chansons et sa passion de la langue de Molière fait de ses chansons de véritables poèmes. 
J'ai toujours été un fan inconditionnel de Charles Aznavour et c'est sur cette facette particulière du personnage que je m'attarderai ici : celle du poète.

1. Un sacré bonhomme
Charles Aznavour, né Chahnourth Varinag Aznavourian voit le jour le 22 Mai 1924, rue Monsieur-le-Prince, à Paris, d’un père baryton Micha Aznavourian, Arménien né en Georgie, et d’une mère comédienne, Knar Baghdassarian, issue d’une famille de commerçants arméniens de Turquie.
Il grandit dans une atmosphère de musique et de théâtre et au milieu des nombreux artistes qui fréquentent le restaurant de ses parents. À neuf ans, ses parents l’inscrivent à l’Ecole du Spectacle et le jeune Charles prend Aznavour pour nom de scène et commence une carrière de chanteur et de comédien. 
Après des débuts difficiles, Charles Aznavour s'est imposé en haut de l'affiche pour ne plus jamais en redescendre. En France comme à l'étranger, il reste l'un des derniers totems de la chanson française.
Pendant ses soixante-dix ans de carrière, il s'est fait connaître et reconnaître pour ses multiples talents : auteur-compositeur (il a composé plus de mille chansons), interprète (il a chanté dans six langues différentes et a vendu plus de cent millions de disques à travers le monde), acteur de cinéma (il a joué dans plus de soixante films), artiste-peintre, mais aussi militant et diplomate en faveur de son pays d'origine, l'Arménie.
En 2011, à 87 ans, le goût de la scène lui fait donner une série de concerts à l'Olympia de Paris et en avril 2012, il se produit encore à la Maison symphonique de Montréal ainsi qu'au Capitole de Québec.
                                (Source principale : http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Aznavour )

2. L'amour, toujours l'amour
Pour un poète, que chanter d'autre sinon la Femme et l'Amour ? 

Toi, par tes mille et un attraits

Je ne sais jamais qui tu es
Tu changes si souvent de visage et d'aspect,
Toi, quel que soit ton âge et ton nom
Tu es un ange ou le démon
Quand, pour moi, tu prends tour à tour
Tous les visages de l'amour 
                                            (Tous les visages de l'amour, 1975)

Mais quel est le vrai visage de l'amour ? L'amour est aveugle, l'amour se donne et se prend, se cueille comme fleur au printemps et se croque à pleines dents :

Le soleil brille à pleins feux

Mais je ne vois que tes yeux
La blancheur de ton corps nu
Devant mes mains éperdues
Viens, ne laisse pas s'enfuir
Les matins brodés d'amour
Viens, ne laisse pas mourir
Les printemps, nos plaisirs...

L'amour est facile à gagner et difficile à garder. L'amour, 
ça va, ça vient et ça s'en va :

L'amour, c'est comme un jour

Ça s'en va, ça s'en va l'amour
C'est comme un jour de soleil en ripaille
Et de lune en semaille
Et de pluie en bataille
Ça s'en va, ça s'en va mon amour
                                                   (L'amour c'est comme un jour, 1962)

L'amour bourgeonne, fleurit et exulte à coups d'espoirs et de promesses comme au temps de Roméo et Juliette, mais le voyage tourne parfois 
court et les cœurs sont perdus, les rêves, déçus et le charme, rompu :

... Nous irons à Vérone un beau jour tous les deux
Impatients, recueillis comme deux fous de gosses
En voyage d´amour, en voyage de noces
Nous irons à Vérone et nous serons heureux

Mais ton cœur a pris froid bien avant le voyage
Il a changé de cap au mirage de l´or
Alors mon cœur perdu a déplié bagages
Et mes rêves déçus n´ont pas quitté le port

Nous irons à Vérone un beau jour tous les deux
Mais Vérone est bien loin, tu as rompu le charme
Et Vérone se noie sous un torrent de larmes
On dit n´importe quoi quand on est amoureux

                                                                   (Nous irons à Vérone, 1973)

En plein cœur de Venise, la ville des amoureux,  gondoles et clairs de lune sur la lagune ne peuvent plus ranimer les feux de l'amour devenus cendres froides. Quelques gestes gauches, des silences creux de paroles non-dites et c'est trop triste, Venise, quand on ne s'aime plus :


Que c´est triste Venise
Lorsque les barcarolles
Ne viennent souligner
Que des silences creux…


Que c´est triste Venise

Le soir sur la lagune
Quand on cherche une main
Que l´on ne vous tend pas…

… Et que l´on ironise
Devant le clair de lune
Pour tenter d´oublier
Ce qu´on ne se dit pas…

… C´est trop triste Venise
Au temps des amours mortes
C´est trop triste Venise
Quand on ne s´aime plus.
                                      (Que c'est triste Venise, 1964)

A la fin du voyage, que reste-il de nos amours (Charles Trenet) ?


... Reste que ma voix sans écho soudain
Restent que mes doigts qui n´agrippent rien
Reste que ma peau qui cherche tes mains
Et surtout la peur de t´aimer encore
Demain presque mort

De t´avoir aimée, aimée de douleur
À m´en déchirer le ventre et le cœur
Jusqu´à en mourir, jusqu´à m´en damner
Que me reste-t-il, de t´avoir aimée?

Ne me reste plus
Qu´un amour que tu viens d´écarteler.
                                                            (De t'avoir aimée, 1966)

Les deux cœurs ne battent plus sur le même diapason, chacun a repris sa route vers d'autres cieux, vers d'autres lieux, et pourtant...

... sans espoir de retour 

Loin des yeux, loin du cœur, j'oublierai pour toujours... 
... et pourtant
Il faudra bien que je retrouve ma raison
Mon insouciance et mes élans de joie
Que je parte à jamais pour échapper à toi
Et pourtant, et pourtant
Dans d'autres bras, quand j'oublierai jusqu'à ton nom
Quand je pourrai repenser l'avenir
Tu deviendras pour moi, qu'un lointain souvenir
Quand mon mal et ma peur et mes pleurs vont finir
Et pourtant, pourtant, je n'aime que toi.
                                                          (Et pourtant, 1963)


La vie continue dans d'autres bras, dans d'autres draps, entre deux lits, entre deux cris, mais toujours et toujours, on revient sur ce passé qui n'est plus et qui, pourtant, inlassablement, ramène à l'autre. Entre nous.

Entre deux trains, entre deux portes,
Entre deux avions qui m´emportent
Entre New York et Singapour
Ma pensée fait comme un détour
Pour me ramener sur les traces
D´un passé que j´aimais tant
D´un bonheur qui semblait pourtant
De chaque jour, de chaque instant
Et je ressens comme une angoisse
Dans ma gorge qui se noue
Car tout est sens dessus dessous
Entre nous...


... Entre deux draps, entre deux rêves,
Entre deux fumées qui s´élèvent
Entre la nuit, le petit jour,
Ma pensée vole vers l´amour
Et fermant les yeux, j´imagine
Que le passé vit encore
Je reconstitue le décor
Et prends ta bouche et prends ton corps
Et sur l´humble théâtre en ruine
De mon 
cœur l´amour rejoue
Tout ce qu´il y eut d´un peu fou
Entre nous.
                                           (Entre nous)

Car il est des serments que l'on fait un jour pour toujours, des serments qui aliènent toute une vie, envers et contre tout :


...Sur ma vie j´ai juré que mon cœur

Ne battrait jamais pour aucun autre cœur
Et tout est perdu
Car il ne bat plus
Mais il pleure mon amour déçu

Sur ma vie je t´ai juré un jour
De t´aimer jusqu´au dernier jour de mes jours
Et même à présent
Je tiendrai serment
Malgré tout le mal que tu m´as fait
Sur ma vie
Chérie, 
Je t´attendrai.
                      (Sur ma vie, 1955)

L'amour, sous la plume de Monsieur Charles (du moins à travers ses chansons car l'homme est discret quant à sa vie privée) est sans complexe, sans retenue et parfois jusqu'au-boutiste (jusqu'à en mourir, mourir d'aimer...). Chez lui, l'amour est "Vie".

3. Le temps qui passe
L'amour, c'est comme un jour, ça s'en va, l'amour et alors, c'est trop triste, Venise, quand on ne s'aime plus. Le temps fait et défait  les amours et les choses de la vie. 
Mais il arrive aussi que le temps refait ce qu'il a défait et tout ne meurt pas avec le temps qui passe quand, au fond de soi, on n'a rien oublié.

... Qui m'aurait dit qu'un jour sans l'avoir provoqué
Le destin tout à coup nous mettrait face à face
Je croyais que tout meurt avec le temps qui passe
Non je n'ai rien oublié


Je ne sais trop que dire, ni par où commencer

Les souvenirs foisonnent, envahissent ma tête
Et le passé revient du fond de sa défaite
Non je n'ai rien oublié, rien oublié...


... Chaque saison était notre saison d'aimer

Et nous ne redoutions ni l'hiver ni l'automne
C'est toujours le printemps quand nos vingt ans résonnent
Non je n'ai rien oublié, rien oublié...

... Je voudrais, si tu veux, sans vouloir te forcer
Te revoir à nouveau, enfin... si c'est possible
Si tu en as envie, si tu es disponible
Si tu n'as rien oublié
Comme moi qui n'ai rien oublié.
                                    (Non je n'ai rien oublié, 1971)

Les artistes, c'est connu, aiment la vie qu'ils mordent à pleines dents. Ils jouent de la vie, de la jeunesse, sans compter, à toute vitesse, jusqu'à s’essouffler. Mais qu'ai-je fait de mes vingt ans ?

Hier encore
J´avais vingt ans
Je caressais le temps
Et jouais de la vie
Comme on joue de l´amour
Et je vivais la nuit
Sans compter sur mes jours
Qui fuyaient dans le temps...


... Hier encore
J´avais vingt ans
Je gaspillais le temps
En croyant l´arrêter
Et pour le retenir
Même le devancer
Je n´ai fait que courir
Et me suis essoufflé...


... Du meilleur et du pire
En jetant le meilleur
J´ai figé mes sourires
Et j´ai glacé mes pleurs
Où sont-ils à présent
A présent mes vingt ans?
             (Hier encore, 1964 ; Yesterday, when I was young en version anglaise)

Et il arrive un âge 
où l'on se remet en questions, où l'on se pose des questions, où l'on s'interroge sur le sens de sa vie, sur la manière dont on l'a remplie. Et on réalise parfois qu'à force de se débattre dans les courants tumultueux de la vie, on n'a pas toujours vu le temps passer :

Plus je m´enfonce dans ma vie
Plus je ne peux que constater
Qu´au vent léger de mes folies
Je n´ai pas vu le temps passer

Entre les draps de la jeunesse
Quand je dormais à poings fermés
A l´horloge de mes faiblesses
Je n´ai pas vu le temps passer


Je n´ai pas vu le temps courir
Je n´ai pas entendu sonner
Les heures de mon devenir
Quand je fonçais tête baissée
Vers ce qu´était un avenir
Et qui est déjà du passé...


... Et puis soudain la cinquantaine

Le demi-siècle consommé
A la table de mes fredaines
Au moment où les jeux sont faits
Que tous mes atouts sont jetés
Je ne peux dire qu´à regret
Je n´ai pas vu le temps passer.
      (Je n´ai pas vu le temps passer, 1978)

Tel est le temps. Imperturbable, implacable, il impose son emprise sur tous et sur tout.

4. Charles le Gavroche
Rappelons le, Charles Aznavour est né à Paris (par un pur hasard puisque ses parents n'étaient qu'en transit à Paris, dans l'attente d'un visa pour les Etats-Unis). Il y a grandi et y a vécu une bonne partie de sa vie. C'est un vrai Gavroche (titi parisien dans "Les misérables" de Victor Hugo). J'imagine aisément l'émotion qu'il doit ressentir à l'évocation de La Bastille, Ménilmontant, Belleville, Montmartre,... tous ces quartiers populeux et populaires de Paris où il a du vivre bien des souvenirs :

Mômes de mon quartier, tout mon passé s´éveille quand je pense
Aux folies des jours où nos amours comblaient mon existence
Malgré les années, j´ai préservé dans mon cœur, quoi qu´il fasse
Comme un coin secret où nulle, jamais, n´a pris votre place


Mômes de mes vingt ans, Ménilmontant, c´est loin mais c´est si proche
Ces instants si doux qui laissent un goût aux lèvres d´un gavroche
Comme un goût salé qui fait rêver et leur goût me rapproche
Jolies mômes de mon quartier...


Mômes de mes amours, de ces beaux jours, de ma tendre bohème

Vous avez semé et le quartier, grâce à vous, est le même
Tout parle à mon cœur et, plein d´ardeur, je sais que je vous aime
Jolies mômes de mon quartier
                                                     (Jolies mômes de mon quartier) 

Comme tout Parisien qui se respecte, forcément, il aime Paris, de cet amour que seuls les Parisiens dans l’âme peuvent comprendre. Il aime d'autant plus Paris qu'il y a vécu les souvenirs les plus mémorables de sa vie, toutes ces années de galère avant de se retrouver en haut de l'affiche :


J´aime Paris au mois de mai
Avec ses bouquinistes
Et ses aquarellistes
Que le printemps a ramenés
Comme chaque année le long des quais
J´aime Paris au mois de mai
La Seine qui l´arrose
Et mille petites choses
Que je ne pourrais expliquer

J´aime quand la nuit sévère
Étend la paix sur terre
Et que la ville soudain s´éclaire
De millions de lumières
Il me plaît à me promener
Contemplant les vitrines
La nuit qui me fascine
J´aime, j´aime Paris au mois de mai
                                               (J´aime Paris au mois de mai, 1956)

Décidément, Paris sera toujours Paris. J'aime Paris, et pas seulement qu'au mois de mai.

5. Aznavourian l'Arménien

Issu d'un père arménien de Géorgie et d'une mère arménienne de Turquie, mais né en France, Charles Aznavour a peut-être eu à se positionner sur un plan identitaire (?)

Il lui suffit d'entendre deux tziganes gratter leur guitare pour se sentir envahi par des vagues de mémoires qui remontent des racines de tout un inconscient collectif :

Deux tziganes sans répit
Grattent leur guitare
Ranimant du fond des nuits
Toute ma mémoire
Sans savoir que roule en moi
Un flot de détresse
Font renaître sous leurs doigts
Ma folle jeunesse
Ekh raz yechtcho raz yechtcho mnogo mnogo raz (*)

Deux guitares en ma pensée
Jettent un trouble immense
M´expliquant la vanité
De notre existence
Que vivons-nous, pourquoi vivons-nous
Quelle est la raison d´être
Tu es vivant aujourd´hui, tu seras mort demain
Et encore plus après-demain
                              

                                            (Deux guitares, 1960)

(*) traduit du russe : encore une fois, plusieurs fois, encore et encore...
Rappelons que le russe est la deuxièmement langue parlée en Arménie.


Entre avril 1915 et juillet 1917, les deux-tiers des Arméniens qui vivaient sur le territoire actuel de la Turquie ont été exterminés au cours des déportations et massacres de grande ampleur. Considéré comme l'un des tout premiers génocides du XXème siècle, il a coûté la vie à un million deux cent mille Arméniens d'Anatolie et du haut-plateau arménien.
Sa reconnaissance politique à travers le monde fait encore l'objet de débats et de controverses, à cause de la négation de ce génocide, notamment en Turquie. En décembre 2011, le génocide est reconnu par 21 pays.  (Wikipédia)
En 1975, Charles Aznavourian dénonce le génocide dans une chanson : Ils sont tombés. 

... Ils sont tombés les yeux pleins de soleil
Comme un oiseau qu´en vol une balle fracasse
Pour mourir n´importe où et sans laisser de traces
Ignorés, oubliés dans leur dernier sommeil
Ils sont tombés en croyant ingénus
Que leurs enfants pourraient continuer leur enfance
Qu´un jour ils fouleraient des terres d´espérance
Dans des pays ouverts d´hommes aux mains tendues

Moi je suis de ce peuple qui dort sans sépulture
Qu´a choisi de mourir sans abdiquer sa foi
Qui n´a jamais baissé la tête sous l´injure
Qui survit malgré tout et qui ne se plaint pas
Ils sont tombés pour entrer dans la nuit
Éternelle des temps au bout de leur courage
La mort les a frappés sans demander leur âge
Puisqu´ils étaient fautifs d´être enfants d´Arménie
                                                    (Ils sont tombés, 1975 : Extraits)

Après le tremblement de terre qui touche l'Arménie en 1988, il décide de s'engager pour aider la population. Il crée la fondation "Aznavour pour l'Arménie". L'année suivante, il réunit plus de 80 artistes dans le collectif "Pour toi Arménie". Le 45 tours sort en janvier et atteint immédiatement le sommet des charts. L'Unesco le récompense de son engagement et le nomme "ambassadeur permanent de l'Arménie". Il a également été nommé Ambassadeur de l’Arménie en Suisse.

Tes printemps fleuriront encore
Tes beaux jours renaîtront encore
Après l´hiver
Après l´enfer
Poussera l´arbre de vie
Pour toi Arménie
Tes saisons chanteront encore
Tes enfant bâtiront plus fort
Après l´horreur
Après la peur
Dieu soignera ton sol meurtri
Pour toi Arménie
                           (Pour toi Arménie, 1989)

Mais il n'est pas toujours aisé d'assumer pleinement sa double identité.
Concernant l'immigration en France et l'intégration, Charles Aznavour a déclaré : " Je suis devenu français d'abord dans ma tête, dans mon cœur, dans ma manière d'être, dans ma langue... J'ai abandonné une grande partie de mon arménité pour être français... Il faut le faire. Ou alors il faut partir. "

"... Oui, je suis arménien, mais j'ai moins d'arménien en moi que je n'ai de français : je ne lis pas ni n'écris l'arménien, je ne connais pas l'hymne national ni les prières..."
En tout cas, je reste personnellement convaincu de la richesse des cultures multiples.

6. Ecrire en français

Charles Aznavour est aujourd’hui le chanteur français le plus connu à travers le monde. Depuis la mort de Frank Sinatra, et après plus de 60 ans de carrière, il est même considéré comme l’un des derniers monstres sacrés de la chanson. Ses textes font partie du patrimoine de la chanson française et ont même fait la chanson française.

C’est aussi à ce titre que Charles Aznavour, déjà commandeur de la légion d’honneur, a reçu en 2008 l’insigne d’Officier de l’Ordre du Canada, la plus haute distinction du pays en novembre dernier des mains de la gouverneure générale du Canada pour avoir contribué à resserrer les liens culturels dans les communautés francophones au Canada et dans le monde. Michaëlle Jean a notamment salué l’œuvre de Charles avec ces mots : " Cette légende de la scène a su éblouir les publics du monde entier, mais demeure avant tout l’un des plus grands ambassadeurs de la langue française. " 

L'amour de la langue française
"Mon pays, c'est la langue française." 
C'est en ces termes que Charles Aznavour exprime son amour de la langue française
"... J’aime bien versifier très proprement... Je me sens proche des gens qui écrivent correctement le français..."
Et cela se sent, à travers ses textes, au choix de chacun de ses mots, au tournant de chacune de ses phrases, sans parler de la musicalité qui s'en dégage. J'ai toujours senti le soin extrême qu'il doit apporter à ses textes, et pour cause, 
Il avoue lire beaucoup et écrire tous les jours. C'est aussi une raison pour laquelle il a toujours tenu à écrire lui-même les textes de ses chansons, tellement il est difficile.

"... Je me rends compte tout d’un coup que les étrangers, et les fils d’étrangers, sont souvent plus attachés à la langue que les Français eux-mêmes, car j’ai des amis comme moi qui sont d’origine italienne ou d’origine espagnole, et bien, ils sont comme moi, attachés à la langue française..." 
Je trouve cette dernière réflexion d'une incroyable véracité, car c'est bien mon propre cas mais aussi (à mon avis) celui de l'auteur-compositeur interprète Claude Barzotti (Italien de souche), de Serge Gainsbourg (né à Paris de parents émigrants Ukrainiens-Juifs) et de bien d'autres encore. Qu'a t-elle donc, cette langue française pour nous attirer de la sorte ? Je me le demande bien souvent.

 Le mot et la chose 
Le mot est devenu la chose la plus importante de ma vie " a t-il dit;
"...Chaque mot est capital, sa profondeur, sa vérité... Parfois même sa sonorité est plus importante que sa vérité. " 
Il préférerait un mot moins juste mais qui sonnerait mieux, ce qui n'est pas une surprise;  quand on écrit les paroles d'une chanson, on n'écrit pas des mots à lire, mais des mots à chanter.
"... Je suis intéressé par les mots, je suis intéressé par les phrases, je suis intéressé par les jeux de mots, les plus bêtes, comme les meilleurs, parce que pour faire un très bon jeu de mot ou une très bonne contrepèterie, il faut en faire une dizaine de mauvaises..."
Son amour des jeux de mots, nous le connaissons tous à travers la chanson suivante :

You are the one for me, for me, for me, formidable
You are my love very, very, very, véritable
Et je voudrais pouvoir un jour enfin te le dire
Te l´écrire
Dans la langue de Shakespeare
My daisy, daisy, daisy, désirable
Je suis malheureux d´avoir si peu de mots
À t´offrir en cadeaux
Darling I love you, love you, darling I want you
Et puis c´est à peu près tout
You are the one for me, for me, for me, formidable...

... You are the one for me, for me, for me, formidable
Je me demande même
Pourquoi je t´aime
Toi qui te moques de moi et de tout
Avec ton air canaille, canaille, canaille
How can I love you.
                                               (For me, formidable, 1964)

A quoi bon des mots quand on n'a rien à dire ? Monsieur Charles, lui, n'aura pas ce problème et ses quelque mille chansons montrent bien bien qu'il a bien des choses à raconter. Il a abordé l'amour sous toutes ses formes bien sur, mais aussi le voyage (Je voyage...), le temps qui passe, le souvenir (Je n'oublierai jamais...), ... ose toucher à des sujets tabous comme l'homosexualité (Comme ils disent), aborde des drames de société (Mourir d'aimer : histoire vraie d'une enseignante éprise d'un de ses élèves mineurs), et des drames historico-politiques (le génocide arménien par les Turcs).

L'auteur-compositeur
Sa carrière a démarré avec le duo Roche et Aznavour dans lequel Pierre Roche, pianiste de formation, compose et Charles Aznavour, parolier, jongle avec les mots. Ensemble, ils écrivent pour de nombreux artistes de l’époque tels que Lucienne Delyle, Les Compagnons de la Chanson, Eddy Constantine et Mistinguett. Il a donc commencé par être un homme "de paroles" avant d’être un homme de musique ou un homme "de voix".

Pour Charles Aznavour, une chanson à la française se définit par son texte bien plus que par un rythme, car dit-il  " nous n'avons pas créé de rythme. (...) Notre grande force est de se servir de tous les rythmes existants pour y placer nos mélodies. ", ce qui explique encore une fois l'importance attachée aux mots.
D'ailleurs, "les notes ont moins de valeur que les mots à mon avis", dit-il.

Qu'ont-elles de particulier, les chansons de Charles Aznavour ? Chaque fan a sa petite idée là-dessus mais selon lui :
" Il y a deux sortes de chansons, il y a la chanson immédiate, qui est faite pour consommer immédiatement, et puis il y a la chanson qui est faite pour durerIl y a la chanson qui est faite pour la tête, il y a la chanson qui est faite pour le cœur, et la chanson qui est faite pour les jambes... Celles qui tiennent le plus longtemps, ce sont celles qui sont faites pour le cœur et la tête..."

Personnellement, je conçois une chanson comme une alchimie subtile entre la musique (la mélodie, les notes, le rythme, l'orchestration...) et l'histoire qu'elle raconte (l'idée de base, les mots, la poésie, l'interprétation de la voix...). C'est une alchimie que Charles Aznavour réussit à sa manière, avec la sensibilité de sa musique et la subtilité de la langue française qu'il maîtrise parfaitement.

Le poète (?)
" J’ai toujours été très attiré par la poésie, sachant pertinemment que je ne serai jamais poète moi-même car c’est un autre état d’esprit que le mien. J’aime beaucoup la poésie, mais je n’ai pas l’état d’esprit d’un poète. "
Sur ce point, je pense le comprendre car ce n'est surement pas un rêveur (comme pourrait l'être Jacques Brel ou Jean Ferrat). C'est un des rares artistes qui savent garder la tête froide et les pieds sur terre, surtout quand il s'agit de gérer sa carrière (il aurait réussi à conserver les droits d'auteur sur la quasi-totalité de ses chansons). 
Ceci étant dit et si, selon le Larousse, la poésie est :
" l'
Art d'évoquer et de suggérer les sensations, les impressions, les émotions les plus vives par l'union intense des sons, des rythmes, des harmonies, en particulier par les vers", je dirai sans hésitation que les textes de Charles Aznavour sont de vrais poèmes, qu'il soit un poète ou pas.
Peu importe la bouteille, pourvu que nous ayons l'ivresse.

L'homme
Dans son livre 50 Ans de chanson française le journaliste Lucien Rioux fait de lui un portrait troublant : « Sur scène ou sur disque, il semble incarner une sorte de malheur diffus qui s’exprime aussi bien dans l’intonation que dans le comportement. De là l’émotion qu’il fait naître. Ce n’est pas la pitié. Plutôt une compréhension exacerbée. On voudrait l’aider, le soutenir... Presque le protéger », commentait-il. 

Je ne connais pas grand chose de l'homme pour en parler. 
A la lecture de ses biographies et des textes de ses chansons et à l'écoute de ses chansons, je me contenterais de dire que c'est un sacré bonhomme pour lequel j'éprouve sympathie et admiration. 
Merci, Monsieur Charles.
Yen Ha, mai 2013
Sources :
Charles Aznavour, le monstre sacré (Le Point.fr) 

Charles Aznavour : « Le mot est devenu la chose la plus importante de ma vie »

Charles Aznavour : Biographie  http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Aznavour

Le chanteur qui se voyait "en haut de l'affiche"  http://www.linternaute.com/biographie/charles-aznavour/

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