Jacques Brel, le troubadour à fleur de peau (4) : De l’enfance à la mort
Peter Pan refuse de grandir
Nous l’avons vu,
Jacques Brel a connu une enfance austère « où il ne se passait rien »
et il l’a longtemps reproché à son père. L’homme passionné refuse
les limites et les contraintes des adultes et tout naturellement, il se réfugie
dans ce « Paradis perdu » si cher à Peter Pan.
... Un enfant C'est le dernier poète
D'un monde qui s'entête A vouloir devenir grand
Et ça demande si les nuages ont des ailes
Et ça s'inquiète d'une neige tombée
Et ça croit que nous sommes fidèles
Et ça se doute qu'il n'y a plus de fées
Mais un enfant Et nous fuyons l'enfance
Un enfant Et nous voilà passants
Un enfant Et nous voilà patience
Un enfant Et nous voilà passés.
D'un monde qui s'entête A vouloir devenir grand
Et ça demande si les nuages ont des ailes
Et ça s'inquiète d'une neige tombée
Et ça croit que nous sommes fidèles
Et ça se doute qu'il n'y a plus de fées
Mais un enfant Et nous fuyons l'enfance
Un enfant Et nous voilà passants
Un enfant Et nous voilà patience
Un enfant Et nous voilà passés.
Un enfant (1968)
Et il en rend les
adultes, son père en tête, responsables : « les adultes sont déserteurs ».
... L'enfance
Qui nous empêche de la vivre
De la revivre infiniment
De vivre à remonter le temps
De déchirer la fin du livre
L'enfance
C'est encore le droit de rêver
Et le droit de rêver encore…
L'enfance
Il est midi tous les quart d'heure
Il est jeudi tous les matins
Les adultes sont déserteurs...
Qui nous empêche de la vivre
De la revivre infiniment
De vivre à remonter le temps
De déchirer la fin du livre
L'enfance
C'est encore le droit de rêver
Et le droit de rêver encore…
L'enfance
Il est midi tous les quart d'heure
Il est jeudi tous les matins
Les adultes sont déserteurs...
L’enfance (1973)
Don Quichotte
En fait,
l’innocence des enfants devient, avec le temps qui passe, la naïveté des
adultes. Peter Pan se transforme en Don Quichotte et le Paradis perdu devient
la Quête.
… Telle est ma quête,
Suivre l'étoile
Peu m'importent mes chances
Peu m'importe le temps
Ou ma désespérance
Et puis lutter toujours
Sans questions ni repos
…
Pour atteindre à s'en écarteler
Pour atteindre l'inaccessible étoile.
Suivre l'étoile
Peu m'importent mes chances
Peu m'importe le temps
Ou ma désespérance
Et puis lutter toujours
Sans questions ni repos
…
Pour atteindre à s'en écarteler
Pour atteindre l'inaccessible étoile.
La quête (1968) http://www.chartsinfrance.net/Jacques-Brel/id-100203239.html
Vieillir
Refuser de
grandir. Refuser de vieillir, cette éternelle vérité tant redoutée. Ces cheveux
blancs qui décolorent les têtes, ces rides qui ternissent les miroirs, ce corps
qui n'obéit plus… Vieillir, ô vieillir.
Mourir cela n'est rien
Mourir la belle affaire
Mais vieillir... ô vieillir
Mourir, mourir de rire
C'est possiblement vrai
D'ailleurs la preuve en est
Qu'ils n'osent plus trop rire
Mourir de faire le pitre
Pour dérider le désert
Mourir face au cancer
Par arrêt de l'arbitre…
Mourir la belle affaire
Mais vieillir... ô vieillir
Mourir, mourir de rire
C'est possiblement vrai
D'ailleurs la preuve en est
Qu'ils n'osent plus trop rire
Mourir de faire le pitre
Pour dérider le désert
Mourir face au cancer
Par arrêt de l'arbitre…
Vieillir (1977) https://www.youtube.com/watch?v=UN5vr-f0H8o
Quand nous
écoutons ou lisons Brel dépeindre le « drame » des personnes âgées,
nous ne pouvons nous empêcher de penser : « Mais c’est exactement
cela ! ». Nul besoin de visiter une maison de retraite pour
visualiser ces scènes et pour une fois, je n’arrive pas à extraire quelques
lignes significatives de la chanson « Les vieux », tellement chaque
phrase, chaque mot sonne juste, même si, bien sûr, Brel ne montre qu’une seule facette de la
vérité.
Les vieux ne parlent plus ou alors seulement
parfois du bout des yeux
Même riches ils sont pauvres, ils n'ont plus d'illusions et n'ont qu'un cœur pour deux
Chez eux ça sent le thym, le propre, la lavande et le verbe d'antan
Que l'on vive à Paris, on vit tous en province quand on vit trop longtemps
Est-ce d'avoir trop ri que leur voix se lézarde quand ils parlent d'hier
Et d'avoir trop pleuré que des larmes encore leur perlent aux paupières
Et s'ils tremblent un peu est-ce de voir vieillir la pendule d'argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui dit : je vous attends
Les vieux ne rêvent plus, leurs livres s'ensommeillent, leurs pianos sont fermés
Le petit chat est mort, le muscat du dimanche ne les fait plus chanter
Les vieux ne bougent plus, leurs gestes ont trop de rides, leur monde est trop petit
Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit
Et s'ils sortent encore bras dessus bras dessous tout habillés de raide
C'est pour suivre au soleil l'enterrement d'un plus vieux, l'enterrement d'une plus laide
Et le temps d'un sanglot, oublier toute une heure la pendule d'argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, et puis qui les attend
Les vieux ne meurent pas, ils s'endorment un jour et dorment trop longtemps
Ils se tiennent par la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant
Et l'autre reste là, le meilleur ou le pire, le doux ou le sévère
Cela n'importe pas, celui des deux qui reste se retrouve en enfer
Vous le verrez peut-être, vous la verrez parfois en pluie et en chagrin
Traverser le présent en s'excusant déjà de n'être pas plus loin
Et fuir devant vous une dernière fois la pendule d'argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui leur dit : je t'attends
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non et puis qui nous attend.
Même riches ils sont pauvres, ils n'ont plus d'illusions et n'ont qu'un cœur pour deux
Chez eux ça sent le thym, le propre, la lavande et le verbe d'antan
Que l'on vive à Paris, on vit tous en province quand on vit trop longtemps
Est-ce d'avoir trop ri que leur voix se lézarde quand ils parlent d'hier
Et d'avoir trop pleuré que des larmes encore leur perlent aux paupières
Et s'ils tremblent un peu est-ce de voir vieillir la pendule d'argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui dit : je vous attends
Les vieux ne rêvent plus, leurs livres s'ensommeillent, leurs pianos sont fermés
Le petit chat est mort, le muscat du dimanche ne les fait plus chanter
Les vieux ne bougent plus, leurs gestes ont trop de rides, leur monde est trop petit
Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit
Et s'ils sortent encore bras dessus bras dessous tout habillés de raide
C'est pour suivre au soleil l'enterrement d'un plus vieux, l'enterrement d'une plus laide
Et le temps d'un sanglot, oublier toute une heure la pendule d'argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, et puis qui les attend
Les vieux ne meurent pas, ils s'endorment un jour et dorment trop longtemps
Ils se tiennent par la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant
Et l'autre reste là, le meilleur ou le pire, le doux ou le sévère
Cela n'importe pas, celui des deux qui reste se retrouve en enfer
Vous le verrez peut-être, vous la verrez parfois en pluie et en chagrin
Traverser le présent en s'excusant déjà de n'être pas plus loin
Et fuir devant vous une dernière fois la pendule d'argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui leur dit : je t'attends
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non et puis qui nous attend.
Les vieux (1963)
Et mourir
Mourir cela n'est rien, Mourir la belle affaire… chantait-il. Don Quichotte ne fait que
« crâner », car si cet ultime voyage nous hante tous, en général vers
l’hiver de la vie, Jacques Brel, lui, en parlait déjà abondamment et très tôt.
Il sait et
reconnait que la mort nous attend tous :
… La mort attend sous l'oreiller
Que j'oublie de me réveiller
Pour mieux glacer le temps qui passe
La mort attend que mes amis
Me viennent voir en pleine nuit
Pour mieux se dire que le temps passe
La mort m'attend dans tes mains claires
Qui devront fermer mes paupières
Pour mieux quitter le temps qui passe
Mais qu'y a-t-il derrière la porte
Et qui m'attend déjà
Ange ou démon qu'importe
Au devant de la porte il y a toi…
Que j'oublie de me réveiller
Pour mieux glacer le temps qui passe
La mort attend que mes amis
Me viennent voir en pleine nuit
Pour mieux se dire que le temps passe
La mort m'attend dans tes mains claires
Qui devront fermer mes paupières
Pour mieux quitter le temps qui passe
Mais qu'y a-t-il derrière la porte
Et qui m'attend déjà
Ange ou démon qu'importe
Au devant de la porte il y a toi…
La mort (1959)
Et il essaie de
s’y préparer comme il peut :
Après mon dernier repas
Je veux que l'on m'installe
Assis seul comme un roi
Accueillant ses vestales
Dans ma pipe je brûlerai
Mes souvenirs d'enfance
Mes rêves inachevés
Mes restes d'espérance
Et je ne garderai
Pour habiller mon âme
Que l'idée d'un rosier
Et qu'un prénom de femme
…
Je sais que j'aurai peur
Une dernière fois.
Je veux que l'on m'installe
Assis seul comme un roi
Accueillant ses vestales
Dans ma pipe je brûlerai
Mes souvenirs d'enfance
Mes rêves inachevés
Mes restes d'espérance
Et je ne garderai
Pour habiller mon âme
Que l'idée d'un rosier
Et qu'un prénom de femme
…
Je sais que j'aurai peur
Une dernière fois.
Le dernier repas
(1964)
Mais la pensée de
« partir » reste difficile à accepter et il tente encore de
« négocier » avec la Mort :
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Nos amitiés sont en partance
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
La mort potence nos dulcinées
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
…
J'arrive, j'arrive
Mais pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ?
Pourquoi déjà et où aller ?
J'arrive, bien sûr, j'arrive
N'ai-je jamais rien fait d'autre qu'arriver ?…
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois prendre un amour
Comme on prend le train pour plus être seul
Pour être ailleurs pour être bienJ'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois remplir d'étoiles
Un corps qui tremble et tomber mort
Brûlé d'amour le cœur en cendres
J'arrive, j'arrive
C'est même pas toi qui est en avance
C'est déjà moi qui suis en retard
J'arrive, bien sûr j'arrive
N'ai-je jamais rien fait d'autre qu'arriver.
Nos amitiés sont en partance
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
La mort potence nos dulcinées
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
…
J'arrive, j'arrive
Mais pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ?
Pourquoi déjà et où aller ?
J'arrive, bien sûr, j'arrive
N'ai-je jamais rien fait d'autre qu'arriver ?…
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois prendre un amour
Comme on prend le train pour plus être seul
Pour être ailleurs pour être bienJ'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois remplir d'étoiles
Un corps qui tremble et tomber mort
Brûlé d'amour le cœur en cendres
J'arrive, j'arrive
C'est même pas toi qui est en avance
C'est déjà moi qui suis en retard
J'arrive, bien sûr j'arrive
N'ai-je jamais rien fait d'autre qu'arriver.
J’arrive (1968) https://www.youtube.com/watch?v=IS-alY94qPI
Toute sa vie, de
l’enfance à la mort, Jacques Brel a vécu comme s'il allait mourir demain pour réaliser ses rêves, intensément, passionnément. Il y aura mis le prix mais nul ne peut contester la
réussite de sa vie d’artiste et, au moins, il aura gagné son combat
sur la vieillesse. En s’en allant à quarante neuf ans.
Repose en paix, Jacques.
Et merci pour tous ces cadeaux personnels que tu nous as laissés.
Ne nous quitte
pas.
Yên Hà, janvier 2015
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