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Jan 14, 2016

Génération sandwich (2ème partie)

 Il y a à peu près quatre ans, j’avais couché quelques états d’âme sur le papier dans un article intitulé « Génération sandwich », article qui avait touché bon nombre de mes compatriotes qui s'y étaient peut-être retrouvés (?)
Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et je me rends compte aujourd’hui que, dans l’état où j’étais, je voyais les arbres sans voir la forêt. Je ne pouvoir raisonner qu’à sens unique, oubliant que dans notre cas, ma génération n’était certainement pas la seule à être perdante.
Aujourd’hui, le présent article est là pour rendre justice aux générations de mes enfants et de mes petits enfants. Commençons par une lettre qu’ils auraient pu nous écrire.


Chers parents,
Vous vous êtes identifiés à une génération sandwich et nous agréons, pour la plupart, avec les points que vous mentionniez. Mais savez vous que nous avons nos propres difficultés, nos propres états d’âme ? Et que sur bien des points, nous sommes entre le marteau et l’enclume ?

Entre deux patries
Si nous définissons « patrie » comme le pays où l’on est né, la nation dont on fait partie, alors, oui, la France est indiscutablement notre patrie. Nous sommes nés en France et, de fait, citoyens français, nous vivons en France et nous mourrons probablement en France. Et si vous revenez au pays au Vietnam, nous ne ferons qu’y aller.
Mais étymologiquement, « patrie », du latin patria=père, veut dire « terre des ancêtres », celle de mes parents, de mes grand-parents… Car nos ancêtres ne sont pas des Gaulois comme nous l’apprenons dans les livres. Alors, notre patrie serait-elle le Vietnam ? Comment pourrait-il y avoir deux patries au sein d’une même famille ?
Et si jamais il y avait la guerre entre ces deux pays, vers qui pointerions-nous nos fusils ? C’est absurde. C’est une notion qui nous dépasse un peu.

Entre deux cultures
Nés en France, nous allons à l’école française, nous avons des copains de classe et des voisins français, nous parlons la langue de Molière et des fois, nous recevons de vous des prénoms français.
Notre mode de pensée est cartésienne et nous croyons aux valeurs républicaines et nous sommes fiers de notre « douce France » et de notre savoir-vivre français.
Notre culture est indiscutablement française.


Mais alors, pourquoi raffolons-nous d’un bol de « phở » bien chaud, de quelques « chả giò » bien croustillants ou d’une assiette de riz cantonnais (et pourquoi est-ce chinois ?) ? Pourquoi cette dextérité à manier les baguettes ? Et même si le durian nous est immangeable (encore plus puant qu’un bon maroilles), nous sommes bien friands de la cuisine vietnamienne. Et même si nous ne comprenons pas bien le vietnamien, nous sentons bien que ce pays représente quelque chose d’important pour nous et nous nous posons des tas de questions à ce sujet :
C’est quoi ce pays ? C’est comment la vie là-bas ? Pourquoi nous ne connaissons presque rien de ce pays ? Pourquoi vous ne nous avez pas appris cette langue, pourtant notre langue maternelle ? C’est quoi, l’histoire de ce pays ? Pourquoi en être fiers ? Pourquoi avez-vous quitté ce pays ? Pourquoi vous ne nous en parlez jamais ?
C’est curieux que ce soit Marc Lavoine, un Français, qui semble bien comprendre nos états d’âme dans la chanson « Bonjour Vietnam », chantée par une jeune Vietnamienne de notre génération, Phạm Quỳnh Anh.

   Raconte moi ce nom étrange et difficile à prononcer…
   Je ne sais de toi que des images de la guerre,
   Un film de Coppola, des hélicoptères en colère…
   Raconte moi ma couleur, mes cheveux et mes petits pieds…
   Raconte moi ta maison, ta rue, raconte moi cet inconnu,
   Les marchés flottants et les sampans de bois…
   Un jour, j’irai là bas, un jour dire bonjour à ton âme.
   Un jour, j’irai là bas te dire bonjour, Vietnam…
   Dans la prière, dans la lumière, revoir mes frères,
   Toucher mon âme, mes racines, ma terre…
   Un jour, j’irai là bas…
Oui, c’est bien tout cela, et beaucoup plus que cela.
Chers parents, où donc est notre culture ? Où donc est notre âme ?

Entre deux sociétés
Lorsque nous étions petits, nous vivions dans deux sociétés bien distinctes, l’une vietnamienne à la maison ou dans le XIIIème, et l’autre française à l’extérieur. Et aujourd’hui que nous avons notre propre vie, nous ressentons parfois, vaguement, que nous ne faisons pas complètement partie de cette société extérieure.
Nous sommes bien Français, mais le sommes-nous vraiment ? Notre peau n’est pas blanche, nos cheveux ne sont pas blonds, nos yeux ne sont pas bleus, notre nez n’est pas droit et nous ne sommes pas « aryens ».

Et même si les Asiatiques sont relativement bien (mieux ?) acceptés, nous avons parfois l’impression d’être vus comme des « étrangers ». Et quid de la réussite sociale ? Avons-nous les mêmes chances de réussir à la mesure de notre potentiel que nos compatriotes dits « de souche » ?
Au-delà des discours politiques et des subtilités de langage autour des notions d’assimilation, d’intégration ou d’insertion, nous serons toujours confrontés aux réalités au quotidien.
Sommes-nous vraiment Français ?


Alors, génération sandwich ou pas ? Nous n’en savons pas trop et nous avons plus de questions que de réponses.
Chers parents, nous avons toujours quelque part le sentiment de quelque chose d’incomplet, de quelque chose que nous avons mais que nous n’avons pas, de quelque chose que nous sommes mais que nous ne sommes pas. Un sentiment confus que nous ne savons pas bien décrire mais un sentiment plutôt déplaisant. Nous repensons à « Des racines et des ailes », ce magazine qui conjugue proximité et ouverture sur le monde et permet d’établir le lien entre le passé et le présent, émissions qui nous ont souvent émus.
Chers parents, Qui sommes-nous ?                    
                                                 



S’agissant d’immigrés, quelle différence entre première, deuxième ou même troisième génération ? Les vagues d’immigration vietnamienne sont encore trop récentes pour vraiment passer dans les mœurs (et encore).
D’autre part, nos parents et nous-mêmes ne sommes pas venus ici de notre plein gré pour chercher fortune mais à contrecœur pour fuir un régime totalitaire et cela fait une sacrée différence.

Nos enfants et grands-enfants sont Français
C’est un fait. Et s’ils parlent français, pensent et vivent comme tout autre Français, cela ne peut être qu’un avantage pour réussir en France. C’est une bonne chose.
Car ils auront à compenser tant soit peu les difficultés dues à leur couleur de peau, quoi que l’on dise. Et le débat est loin d’être clos.

Nous enfants et grand-enfants sont Vietnamiens
Que nous le voulions ou pas, leur sang est vietnamien, leurs gènes sont vietnamiens et notre responsabilité de parents est de les élever comme des Vietnamiens, même pour des Vietnamiens vivant sur un sol non-vietnamien.
Mais des fois, nous n’avons pas pu assumer notre rôle, pour une raison ou un prétexte quelconque. Trop occupés à nous installer et à nourrir la famille ? Parce que la douleur de la perte du pays nous pousse à tout oublier et à tourner la page ? Pour faire l’autruche et fuir la réalité ? Pour fuir notre responsabilité ?
Il ne s’agit pas de s’auto-flageller mais de rappeler que nos enfants et grands-enfants ont besoin de nous pour les aider à réussir leur vie dans ce contexte particulier.
Car, oui, c’est notre responsabilité de parents de les guider sur le chemin à la recherche de leur identité.

Nos enfants et grands-enfants sont des Français d’origine vietnamienne
Double défi. Ils auront donc à réussir en France tout en conservant un peu de leur identité, de leurs origines. 
Nous ne sommes ici que « de passage » mais eux, ils sont là pour perpétuer la « race », celle des « Enfants de dragons et petits-enfants de fées ».
Et notre responsabilité de parents est de les y aider.
En France, aux Etats-Unis, au Canada, en Australie ou dans n’importe quel pays.

Yên Hà, janvier 2016 



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